mardi 17 octobre 2006

Fin de bourlingue


C’est la fête au village de Korguondu Bulale. Tir à l’arc et lutte pour les gros bras ; rugby à cheval à la poursuite d’une carcasse de chève, jeu qu’on appelle “buzkashi” ou “ulak-tartysh”, pour les polyvalents. Les adolescents poursuivent les filles à cheval pour leur voler un baiser. Un aigle plane sur la foule et fond sur un lapin blanc qu’il va dévorer.

C’est ma fête d’adieu à l’Asie Centrale. Un air de mandoline et au revoir, la bourlingue en Asie Centrale est terminée.




samedi 26 août 2006

La riante vallée



A force de nous annoncer le mauvais temps Andrei a fini par avoir raison : des nuages noirs s’accumulent sur les Tian Shan. C’est le coeur lourd que je quitte les contrées désertées pour revenir vers la terre des hommes.

Pour se désacclimater le groupe s’arrête dans la vallée de Jeti-Öghüz au sud du lac Issy Kul, là où les chevaux paissent dans les prés. Dans une yourte un vénérable kirghize nous parle d’une trace de Yéti aperçue par un chasseur sur le glacier. Mais le coeur n’y est plus.

Enfin, je peux me laver dans la rivière et la nature est douce au fond de cette riante vallée.


vendredi 25 août 2006

Qu’est-ce qu’un sommet vierge ?



FAQ : comment déterminer si le sommet que nous avons escaladé était vierge ?

  • Le premier facteur est l’historique de la région. Les chaînes de l’Akshirak et du Kokshal-Tau, qui font partie des Tian-Shan, ont été explorées pour la première fois en 1857 puis sont restées interdites d’accès pendant la plus grande partie du 20ème siècle (réf: Théorie du Yéti ..). Elles sont parcourues aujourd’hui par des chasseurs et des chercheurs de minéraux qui n’ont tous deux aucun intérêt à monter sur les pics. De même que les gardes frontières.
  • Le club alpin kirghize (http://www.kac.centralasia.kg/) est l’autorité qui tient un registre des sommets inexplorés même si ce n’est pas une source absolument fiable. Ils ont recensé dans ces régions 50 sommets vierges à plus de 5′000 mètres et plus de 100 en dessous de cette altitude.
  • L’unique carte des lieux ne mentionnait aucun nom pour notre sommet. Son altitude n’était même pas indiquée.
  • Si le sommet avait présenté un intérêt technique ou de prestige il y a de bonnes chances qu’il ait été déjà gravi. Cela aurait été le cas par exemple s’il avait été le point le plus haut de la chaîne. Or le PRIVRATNIK entre dans la catégorie des sommets faciles (niveau 1b), qui ne présente pas d’intérêt pour les alpinistes chevronnés, et il occupe position relativement anonyme dans le Kokshal-Tau.
  • Si des alpinistes avaient déjà foulé ce sommet il y a de fortes chances qu’ils eussent laissé une trace de leur passage : par exemple une croix ou un amas de pierres. Le soin nous en a été laissé.
Bref, le PRIVRATNIK était un sommet vierge. Il en reste un peu moins de 150 dans les Tian Shan.




jeudi 24 août 2006

Première ascension du Privratnik



Message dans une bouteille : « Un groupe de trekkers d’Asia Mountains a réalisé la première ascension de ce sommet le 18 août 2006 à 12:10 par la voie ouest, catégorie de difficulté 1b. Le groupe est composé de : Misha Volkov, Russie – Andrei Irochimn, Kirghizstan - Michel Biolley, Suisse – Christian Chablais, Suisse. En vertu du droit du premier grimpeur nous avons donné le nom de PRIVRATNIK à cette montagne, qui signifie en russe ‘le gardien de la porte’ ».

Le pic se situe à 10 kilomètres de la Chine et culmine à une altitude de 4′450 mètres. Sur le sommet nous avons construit un petit amas de pierres dans lequel a été enfouie une bouteille en plastique. A l’intérieur se trouve une feuille de papier avec le message cité plus haut.

La montagne se trouve à deux pas de glaciers imposants et il est vrai qu’elle semble être ici pour en garder l’accès. Voilà pourquoi nous l’avons baptisée PRIVRATNIK - le gardien de la porte.

Sa pente est régulière, recouverte d’un roche tourmentée : les pierres ressemblent à des ardoises, elles sont friables comme du papier. L’ascension présente un certain niveau de difficulté sur quelques dizaines de mètres seulement, à 200 mètres du sommet.





mercredi 23 août 2006

En route

La nuit a été courte. Au petit matin les explosions de lumière de la veille ne sont plus qu’un souvenir. Nous enchaînons avec l’ascension du sommet vierge qui se tient sous notre nez et semble accessible. Le pic enneigé attire toute l’équipe et même l’aspirant guide Andrei oublie de nous annoncer de la pluie.

mardi 22 août 2006

Explosions de lumières dans la nuit




« Si nous étions de véritables explorateurs nous irions voir ce qui se passe là-bas » dit le guide de St.Petersburg aux alentours de 23 heures.

Peu de temps auparavant j’étais encore sous tente à côté de Michel, emmitouflé dans le sac de couchage, et j’essayais de reprendre des forces en vue de l’ascension du lendemain. Dehors on entendait la conversation des russes qui buvaient du thé. Le température était passée sous les -10 degrés et le sommeil arrivait finalement quand Misha s’est approché et a dit de sa voix d’ours :

« Christian, Michel ! Vous devriez venir, il y a des lumières étranges.»

Sortis la tente nous n’avons d’abord rien vu que la vallée qui file vers le nord et le ciel étoilé. Puis il y eut un flash de lumière sans aucun bruit, à 10 ou 15 kilomètres en direction de l’étoile polaire. Le phénomène se répéta peu après : c’était un éclair de lumière qui partait du sol et s’élevait en formant des cercles concentriques qui duraient deux à trois secondes. Comme une explosion silencieuse. Ces flash se répétaient à des intervalles allant de 40 secondes à deux minutes. Aucun bruit ne nous parvenait.

Etions-nous de véritables explorateurs ? demandait Misha. Provocation.

Je me suis habillé chaudement et suis parti avec lui en direction du nord, chacun s’étant équipé d’une lampe frontale et d’un piolet. Je n’étais pas enthousiaste et fis remarquer que l’objectif de cette expédition était la recherche du Yéti des Tian-Shan, pas une rencontre du troisième type avec des extra-terrestres ! Le guide se contentait de garder un esprit pratique et, à chaque kilomètre, il construisait un kern – qui est un assemblage de petites pierres – pour nous permettre de retrouver le chemin du retour.

Nous avancions rapidement, tête baissée, en direction des lumières. Après une heure elles semblaient avoir disparu. Misha eut la présence d’esprit gravir une colline pour observer la situation depuis un point de vue. Nous avons alors suivi un sentier créé par des chèvres sauvages à travers un pierrier jusqu’au sommet.

Là-haut nous attendait un ciel dégagé et la lune rousse qui se levait. Toutes les étoiles de l’hémisphère nord étaient présentes, il faisait très froid. Après quelques minutes les explosions de lumière reprirent. Elles s’étaient déplacées vers le sud est et se situaient maintenant dans la partie chinoise à plus de 50 kilomètres. Le phénomène se répétait à des intervalles allant de une à trois minutes. Nous en vîmes également en direction du nord, plus rares - chaque 5 minutes - et beaucoup plus lointaines que celles qui nous avaient tirés hors de la tente.

Nous avons été incapables de photographier ces explosions de lumières, ce qui souligne notre absence de maîtrise technique du matériel photographique et l’impréparation de cette expédition.

Le lendemain soir le phénomène ne s’est pas reproduit.

Deux jours plus tard nous avons croisé les soldats de la garnison de Bedel qui n’avaient rien remarqué. 100 kilomètres plus aux nord, au bord du lac Issy-Kul, un villageois nous apprit que son grand-père racontait avoir vu des lumières semblables. Il y a 50 ans.

lundi 21 août 2006

Vers les sommets vierges



Le soir, sous la tente, l’équipe dévore des yeux la carte de la région à la lumière des lampes à gaz. L’opinion de mes camarades est que nous sommes arrivés trop tard : le Yéti est parti. Leur soif de découvertes s’est maintenant portée sur les sommets vierges de Kokshal-Tau et je ne parviens pas les retenir. La traque de l’homme des neiges est terminée.

Le Kokshal-Tau est un chaîne de montagnes qui délimite la frontière entre le Kirghizstan et la Chine. Elle se trouve 50 kilomètres plus au sud, un semblant de route et un pont délabré nous y mènent. C’est l’affaire du chauffeur Andrei.

Sa conduite du 4×4 est sportive. Andrei est un kirghize d’origine russe, un ancien champion de cyclisme sur route qui a renoncé à sa carrière sportive parce que les vélodromes du pays se sont délabrés, comme la plupart des usines construites par les colons russes. Il vit ses dernières semaines dans ce pays car il émigrera avec sa famille à Kaliningrad dès la fin de l’été, suivant le mouvement de la minorité slave qui n’est plus la bienvenue dans le pays depuis son indépendance en 1990. Son rêve secret est de participer au Camel Trophy. Il s’entraîne avec nous à la conduite tous terrains avec le minibus.

Il crève trois pneus sur les cailloux et démontre aux 10 gardes frontières du village garnison de Bedel l’art de changer les chambres à air à 3′000 mètres d’altitude. Les soldats regardent d’un air intéressé mais ils ont perdu la foi dans la mécanique. Leurs jeeps sont hors d’usage depuis des mois et ne seront pas réparées. Ils ne se déplacent plus qu’à cheval dans les vallées.

Nous quittons la route pour nous approcher des sommets vierges. Andrei ne se laisse pas trahir une seconde fois par le sol marécageux. Il engage le véhicule dans le lit de la rivière où les pierres  garantissent sa stabilité. L’eau s’écoule dans l’habitacle et vient mouiller nos orteils.

Qu’importe, puisque nous sommes arrivés au fond de la vallée. A trois kilomètres de distance se dressent deux glaciers qui bloquent de toute leur largeur le passage vers la Chine. C’est un barrage de glace qui culmine à 4′800 mètres. Devant eux une montagne pyramidale monte la garde.

Ces sommets n’ont pas de nom, ils n’ont jamais été escaladés. Nous allons tenter une ascension.